
MESSAGE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DE
CENTRAFRIQUE
À L’ÉGLISE-FAMILLE DE DIEU,
AUX HOMMES ET AUX FEMMES DE BONNE VOLONTÉ
« SOYEZ TOUJOURS PRÊTS À RENDRE COMPTE DE
L’ESPÉRANCE QUI EST EN VOUS » (1P 3, 15)
1. Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, qui espérez toujours un avenir meilleur pour notre Église et notre pays, à vous tous, grâce, paix et miséricorde de la part de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ.
Réunis en Assemblée Plénière Ordinaire de la Conférence Épiscopale Centrafricaine (CECA) à Alindao du 16 au 23 juin 2025, nous, Évêques de Centrafrique, avons choisi d’articuler notre méditation et réflexion autour de la thématique de l’espérance. En cette période du jubilé de l’espérance voulu par le Pape François, de vénérée mémoire, et vécu dans la foi, les chrétiens sont appelés de manière singulière à être des pèlerins d’espérance dans notre monde en proie à des crises multiformes.
I. L’ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
- Loin d’être un vague optimisme, ni une illusion ni une attente passive mélangée de doute, l’espérance chrétienne est la foi confiante et agissante en Dieu-Emmanuel qui agit en chacun de nous et dans chaque événement de la vie quelles que soient les circonstances et qui porte le monde et son histoire irrémédiablement vers son accomplissement. Se rapportant immédiatement à Dieu et déterminant la relation entre ce dernier et l’homme, l’espérance est, tout comme la foi et la charité, une vertu théologale (cf. 1 Co 13,13).
- Dans les Saintes Écritures, Dieu apparaît comme le fondement de toute espérance (cf. Ps 25,3 ; 31,25). Sa puissante parole prononcée ne lui revient pas sans avoir accompli sa mission (cf. Is 55,11). Garantie par la foi en Dieu et en l’accomplissement de ses promesses, l’espérance devient le socle et le moteur qui sous-tend, par son dynamisme, les grands moments décisifs de la vie et de l’histoire du peuple d’Israël marquées par les expériences douloureuses de la servitude en Égypte, de la défaite du Royaume de Juda, du siège de Jérusalem et de la destruction de son temple, de la captivité et de l’exil à Babylone. C’est au cœur de ces moments de crise de foi profonde que les prophètes appellent le peuple d’Israël à l’espérance et l’invitent à la fidélité (cf. Os 12,7 ; Is 26,8ss).
- L’espérance apparaît ainsi chez les prophètes comme la capacité à regarder les épreuves de la vie, les événements existentiels, sociohistoriques et politiques à travers le prisme de la foi en Dieu qui fait toute chose nouvelle et fraie un chemin dans le désert et des fleuves dans les lieux arides (cf. Is 43, 19). Ainsi, l’espérance laisse – t – elle entrevoir la possibilité d’une vie meilleure avec Dieu, car, Lui seul, a le dernier mot.
- L’espérance messianique est celle d’une paix perpétuelle entre les nations mettant fin à l’apprentissage de la guerre. Les épées seront transformées en socs et les lances en faucilles (cf. Is 2, 4). Sur la sainte montagne de Dieu règnera la justice. Il n’y aura aucune violence entre les espèces, ni mal ni corruption (cf. Is 11,1-10). Le voile de deuil et la mort y seront bannis à jamais et les larmes seront séchées pour laisser place à la joie et au festin (cf. Is 25, 6-9).
Ces promesses messianiques trouvent leur accomplissement en JésusChrist mort et ressuscité. L’espérance chrétienne s’oriente toujours vers l’attente joyeuse (cf. Rm 12,12) et patiente (cf. 1P 4,13) de son retour (cf. Ac 1, 11 ; 3,20), dans la prière et l’amour fraternel (cf.1P 4,7ss). Dans ses écrits, Paul présente l’espérance comme l’attente de la création toute entière aspirant, malgré les gémissements, à la révélation et à la gloire des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 19-21).
- LA FORCE DE L’ESPÉRANCE
- Chers frères et sœurs dans le Christ, et vous tous hommes et femmes de bonne volonté ! Fort de ce qui précède, nous pourrions nous demander quels seraient les signes d’espérance que nous pouvons lire aujourd’hui dans notre pays et qui manifesteraient cette tension permanente entre la désespérance et l’espérance, entre le déjà-là et le pas encore.
- Le premier signe d’espérance patent que la foi nous révèle est le courage d’exister de notre peuple, sa ferme volonté et détermination à vivre, la force de sa résilience et la célébration de la vie comme un don fragile à protéger et à sauvegarder. Les crises militaro-politiques à répétition, les crépitements d’armes, la dureté de la vie sur les sites des déplacés, les actes de violences, les tueries et les atrocités qui ont été commis, le sentiment d’inimité intercommunautaire, de haine et de vengeance qui a habité les cœurs avec le risque d’un embrasement total de notre pays n’ont pas entamé notre volonté et courage de vivre. Un regard rétrospectif sur ces moments sombres et macabres montre à suffisance que nous étions presqu’au fond du gouffre. Malgré la pauvreté endémique de notre pays, en tant qu’êtres humains, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous voulons vivre et faire valoir notre droit à la vie, à la liberté, au bonheur, à la justice et à la paix.
- Aujourd’hui, beaucoup de cœurs se désarment. Nous avons pu constater des gestes de solidarité sincère envers les personnes déplacées. Des familles démunies et pauvres ont accepté de partager généreusement de leur indigence pour venir au secours de ceux et celles qui vivent une détresse beaucoup plus grande. Dans un tel contexte, les relations intercommunautaires entre chrétiens et musulmans se sont beaucoup améliorées. De nombreux détenteurs illégaux d’armes acceptent aujourd’hui librement de les rendre et d’entrer ainsi dans une dynamique de la construction de la paix. La reconstruction des Forces de Défense et de Sécurité, quand bien même est un long processus, est d’ores et déjà en cours.
- Par ailleurs, nous constatons avec joie une réelle prise de conscience de la nécessité de la scolarisation, en particulier celle des filles, et de l’éducation. Lors de nos tournées pastorales, les parents réclament plus d’écoles, des enseignants qualifiés et surtout la paix afin de permettre et de favoriser la scolarisation et l’éducation de leurs enfants, un véritable chemin vers la paix.
- Sur le plan de la foi, le nombre sans cesse croissant des catéchumènes, des baptisés, des confirmés et de couples chrétiens unis par le sacrement de mariage, la floraison des vocations religieuses et sacerdotales, ainsi que l’engagement de nos chrétiens dans la dynamique de l’autoprise en charge de leur Église sont un véritable motif d’actions de grâces et d’espérance.
- Chers frères et sœurs dans le Christ, et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté ! L’espérance est un engagement qui nous oblige tous. Nous portons tous, sans exception, tant sur le plan individuel, social, politique, économique que sécuritaire, la responsabilité de préserver le faible lumignon de la flamme de la vie et de l’espérance qui bat encore aujourd’hui dans le cœur de chaque fils et fille de ce pays.
- C’est dans la perspective de la préservation de cette fragile flamme de la vie et de l’espérance, de la consolidation des acquis durement conquis et au regard de tout ce que nous avons traversé que nous regardons avec préoccupation la situation actuelle de crise et de blocage politique entre le pouvoir, l’opposition et la société civile. Les réseaux sociaux et les médias sont parfois malheureusement utilisés comme une tribune où des campagnes d’intimidation, de dénigrement, de ternissement de réputation, d’invectives de tous genres et d’insultes impudiques sont impunément proférées par les uns et par les autres. Cette situation donne à penser sur l’état de notre culture démocratique et sur la mise en œuvre de la justice. Dans ce contexte de crise politique, la population ne cache plus ses angoisses et préoccupations et s’interroge sur les préalables aux futures élections : que devons-nous faire ensemble pour juguler les éventuelles crises pré et post-électorales ? Une chose est sûre, le peuple centrafricain ne veut plus d’une énième crise qui serait de trop. L’Église appelle les hommes politiques, les leaders d’opinions et les représentants de la société civile, bref tous ceux qui disposent d’une quelconque possibilité et autorité, à se laisser guider uniquement par l’intérêt supérieur de la nation et la recherche du bien commun. Il est plus facile de déclencher une guerre que de construire la paix. La paix n’a pas de prix ! Nous ne le dirons jamais assez !
- À cette situation s’ajoute une recrudescence de conflits armés, de violences et d’insécurité avec des braquages à mains armées dans certaines localités de notre pays. Nul n’ignore les conflits et troubles qui se déroulent à Zemio, Mboki, Obo et dans les régions de Bozoum et de Nana-Bakassa. Sur le tronçon Yelowa jusqu’à notre frontière au Cameroun, l’absence totale de l’autorité de l’État donne libre champ aux groupes armés de commettre impunément des exactions sur les populations. Dans cette région, les éleveurs étrangers s’installent en République Centrafricaine entraînant des conflits entre éleveurs et agriculteurs (destructions de champs, vols de bétails, tueries…) avec comme conséquence le déplacement de la population locale.
- Sur l’axe Birao-Am Dafok, nos Forces de Défense et de Sécurité gagneraient à être davantage équipées pour assurer la sécurité de la population et garantir l’intégrité territoriale de notre pays. À Birao par exemple, on dénombre aujourd’hui 26.750 réfugiés soudanais avec le risque pour la population centrafricaine locale, qui compte environ 19.000 habitants, d’être envahie et engloutie. Face à cette situation, la population de Birao est habitée par le sentiment d’abandon de l’autorité centrale ne bénéficiant pas assez d’assistance, des services de santé et d’éducation. Ces diverses situations évoquées ci-dessus devraient mériter de la part de nos autorités une attention soutenue.
- Par ailleurs, nombreux sont aujourd’hui les nouveaux fonctionnaires intégrés et contractuels qui n’arrivent pas à rejoindre leurs postes et lieux d’affectation faute d’appuis financiers ou à cause de l’insécurité ou encore de la dégradation très avancée de nos routes. En prenant la route pour Alindao à partir de nos diocèses respectifs, nous avons constaté avec beaucoup d’amertume combien l’état de nos routes en cette période de la saison pluvieuse est préoccupant. L’embourbement et les risques d’accidents graves sont devenus aujourd’hui monnaie courante. Dans certaines localités de notre pays, à cause de la dégradation routière, certaines villes comme Boda et Ngaoundaï tout comme l’axe CarnotBerberati-Nola courent le risque de l’isolement et d’inaccessibilité.
- Certains hôpitaux et formations sanitaires de notre pays, à cause de la qualité des services et d’un certain manque d’hospitalité, la faible capacité de nos morgues et l’enterrement anarchique de nos morts, deviennent de plus en plus des lieux d’angoisses et de souffrances pour nos populations.
- Enfin, il va sans dire que la suspension des aides de l’administration américaine a des impacts réels et inquiétants sur une partie de la population centrafricaine largement tributaire des institutions, des organisations internationales et des Organisations Non-
Gouvernementales. Ces situations nous obligent à une prise de conscience et de responsabilité endogène avec la nécessité de sortir de l’assistanat, de mettre en place et de développer des mécanismes nationaux à court, moyen et long terme pour faire face aux nombreux défis auxquels est aujourd’hui confronté notre pays.
- TÉMOINS DE L’ESPÉRANCE
- Chers frères et sœurs dans le Christ, et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté ! « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous ! » (1 P 3, 15). Loin de sombrer dans la fatalité, le chrétien, grâce à la force de l’espérance, est toujours encouragé à faire le bien et éviter le mal. L’espérance engage notre responsabilité citoyenne, mais surtout chrétienne, à être de véritables gardiens des valeurs évangéliques et humaines inaliénables.
- La force de l’espérance oblige. Elle nous oblige à inviter sans tarder nos hommes politiques, les leaders d’opinions, les représentants de la société civile, bref toutes les forces vives de la nation centrafricaine à la décrispation de la situation et du climat politique qui prévalent actuellement dans notre pays en vue du bien commun. Il nous faut sortir du paradigme de la désinformation, de la division, de la haine, de l’ethnocentrisme exclusif et des intérêts partisans et pouvoiristes qui n’honorent pas le jeu et la culture démocratique. Il est à craindre que nous nous acheminions directement dans une impasse qui serait très préjudiciable à notre pays. Aujourd’hui, il est plus qu’urgent de fertiliser l’imaginaire centrafricain avec les vraies valeurs et de promouvoir la culture de la liberté et de la vérité, de la justice et de la réconciliation, de l’unité nationale et de la concorde, de la fraternité et de l’amour patriotique.
- En tant que témoins de l’espérance, nous sommes appelés à reconnaître les traces de la présence de Dieu dans notre vie actuelle et à aller toujours de l’avant. Face à la dure réalité de la vie quotidienne marquée par la pauvreté, les violences sous toutes formes et le rejet de l’autre, beaucoup de personnes et même des chrétiens ont perdu toute raison d’espérer. Et pourtant, nous rappelle le prophète Isaïe : « ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se lasser, ils marchent sans se fatiguer » (Is 40, 31). L’espérance est un don de Dieu qui nous aide à tenir dans les épreuves et dans l’adversité. Oser espérer malgré les vents contraires, c’est croire fermement que Dieu qui a ressuscité son Fils d’entre les morts peut toujours renouveler la face de notre terre et celle de notre pays déformé par le péché, la haine, la violence, les nombreuses crises militaro-politiques à répétition, la corruption, l’exploitation illégale et abusive des ressources naturelles et minières, la mauvaise gouvernance. Rendre compte de l’espérance qui nous habite, c’est oser des gestes de pardon et d’amour, des gestes qui sèment la paix et qui réconcilient même quand tout le monde autour de nous prend le chemin contraire. C’est oser, à travers nos communautés ecclésiales de base, nos mouvements et fraternités et nos paroisses, des initiatives capables d’améliorer ou de transformer notre vie et celle de la communauté. C’est oser nous remettre debout afin de devenir les protagonistes de notre propre développement. Rendre compte de l’espérance qui nous habite, c’est croire et proclamer que l’espérance chrétienne ne trompe ni ne déçoit (cf. Rm 5, 5) parce qu’elle est fondée sur la certitude que rien ni personne ne pourra jamais nous séparer de l’amour de Dieu (cf. Rm 8, 39). L’amour de Dieu pour ses enfants est plus fort que les difficultés de la vie présente. « Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Is 43,19).
- Puisse la Bienheureuse Très Sainte Vierge Marie, Mère de toute espérance, intercéder pour notre Église et notre pays auprès de son Fils.
Donné en la Cathédrale Sacré-Cœur de Jésus
d’Alindao, le 22 juin 2025
Mgr Bertrand Guy-Richard APPORA NGALANIBE Évêque de Bambari Président de la CECA | Dieudonné Card. NZAPALAINGA Archevêque Métropolitain de Bangui | Mgr Cyr-Nestor YAPAUPA Évêque d’Alindao Vice-Président de la CECA |
Mgr Miroslaw GUCWA Évêque de Bouar | Mgr Nestor-Désiré NONGO AZIAGBIA Évêque de Bossangoa | Mgr Juan Jose AGUIRRE Évêque de Bangassou |
Mgr Dennis Kofi AGBENYADZI Évêque de Berbérati | Mgr Jesús RUIZ MOLINA Évêque de M’Baïki | Mgr Victor Hugo CASTILLO MATARRITA Évêque de Kaga Bandoro | ||
